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Le feedback, est une nouvelle langue à apprendre pour rendre plus épanoui et plus performant

Les langues ont deux finalités : se comprendre et évoluer. Deux choses que nous semblons avoir oubliées, si l’on en croit la manière dont on se parle au sein de hémicycle de l’Assemblée nationale, sur les plateaux de télévision, au bureau, au volant, ou tout simplement dans la rue. Dans son livre, Feedback : le pouvoir des conversations, Stéphane Moriou nous explique comment remettre du feedback dans notre quotidien.

Bonjour Stéphane Moriou, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

La première réponse la plus évidente : parce que de nombreuses personnes me l’ont réclamé. J’ai passé 20 ans de ma vie à étudier, pratiquer, conceptualiser un petit outil apparemment inoffensif que l’on appelle feedback. J’ai eu la chance de sensibiliser ou former des dizaines de milliers de personnes à travers le monde, que ce soit au travers de mes conférences ou de mes ateliers.

Toucher de grandes audiences est au cours de notre démarche. En 2019, j’ai lancé un one-man show baptisé « Back to the feedback » pour présenter le sujet de manière drôle et décalée. Il semblait donc naturel de formaliser tous nos enseignements dans un livre à destination des entreprises mais aussi du grand public.

Dans le milieu professionnel, on remet en cause les entretiens annuels, les enquêtes d’engagement montrent des manques de reconnaissances récurrents. Dans les familles, nous avons perdu le sens des temps de qualité et le plaisir de la communication.

Nous avons montré que le feedback est une langue étrangère. Je crois que, d’une certaine manière, elle peut même nous sauver. Mon livre « Feedback, le pouvoir des conversations » explique de façon théorique et pratique comment l’apprendre et s’y perfectionner. Je crois pouvoir affirmer que rien de plus abouti n’a été écrit sur le sujet.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Vous me demandez de faire un choix cornélien. J’ai passé plus de 1.200 heures à écrire seulement 250 pages. Autant vous dire que j’ai vraiment investi chaque page et que plusieurs passages qui me tiennent particulièrement à cœur.

Si je devais retenir une idée, je dirais que j’insiste particulièrement sur le fait que le feedback n’est pas une mode ou une construction contemporaine. Il est inscrit au cœur du vivant. Voici donc le début d’un chapitre qui vous explique ma vision :

« L’univers de chacun est borné par la taille de ses connaissances. Chaque enfant nait dans un « big bang ». Les premières semaines de sa vie sont limitées par un espace restreint, son berceau et les bras de ses parents, et par un temps qui ne dépasse guère l’horizon de la prochaine tétée. Immuablement, son champ va s’étendre. Grandir consiste à élargir son espace de référence et la perspective de son temps. Acquérir de nouvelles connaissances et compétences est une conséquence de ce mouvement. Et lorsqu’il atteint l’âge de la vieillesse, son espace et son temps se contractent à nouveau, pour finir par imploser dans un « big crunch ». Le feedback joue un rôle vital à toutes les étapes de ce processus car il est inscrit dans les lois de la nature. 

Survivre grâce la rétroaction

Chaque organisme vivant possède des systèmes complexes faisant appel à des mécanismes de rétroaction qui lui permettent de maintenir son homéostasie. Notre corps s’auto-régule en permanence grâce à d’innombrables boucles. Les mécanismes de l’accouchement sont un merveilleux exemple de boucle de rétroaction positive. La dilatation des pupilles, la régulation de la température du corps, ou celle de la pression artérielle, le cycle menstruel, sont d’autres exemples de boucles qui nous permettent de conserver notre homéostasie. 

L’une des caractéristiques de ces boucles de rétroaction est que lorsqu’elles fonctionnent, nous avons tendance à ne pas les remarquer. Nous en prenons essentiellement conscience lorsqu’elles dysfonctionnent. D’ailleurs, avant que la cybernétique ne formalise le concept de rétroaction, la plupart des gens ne réalisaient pas que ces boucles étaient secrètement à l’oeuvre. Avec les travaux de Norbert Wiener, le principe de causalité circulaire vint défier une tradition de causalité linéaire. L’effet peut revenir vers la cause et la modifier positivement ou négativement. 

Nous pouvons survivre deux à trois minutes sans air, deux à trois jours sans eau, deux à trois mois sans nourriture. Combien de temps pourrions-nous survivre sans ces boucles de rétroaction ? Quelles seraient nos chances de survie si nous ne ressentions pas de dégoût au moment d’ingérer une substance toxique, si nous nous brûlions sans ressentir de douleur, si nous ne percevions pas le danger de la vitesse au volant ? Ces retours permanents sont l’une des conditions de notre survie.

Dans les systèmes non-vivants, la boucle de rétroaction agit en fonction d’un retour programmé vers un point de consigne. Elle ne permet pas de faire évoluer le système lui-même à partir d’un nombre illimité de variables. Le thermostat d’un chauffage vise à maintenir une température ambiante autour d’une valeur définie. Il ne fait pas varier ce point de consigne en fonction de nos tenues, de notre activité ou de nos préférences. 

Dans les systèmes vivant, ce mécanisme de rétroaction est augmenté par une faculté de feedback qui, en plus de maintenir l’homéostasie de l’ensemble, peut, lorsque cela est utile, agir sur le système lui-même pour le transformer. Notre cerveau est une formidable machine à mémoriser le passé et à simuler le futur. Le feedback a pour objectif de faire grandir le système qui dépend de lui dans une direction souvent difficile à prédire. Sa richesse tient au fait que l’information rentrante peut provenir d’un nombre quasi-infini d’acteurs, alors que dans l’univers des régulateurs contrôlés et fermés, l’information ne provient que d’un nombre limité de sources définies à priori, donc stables. Le feedback est un phénomène plus riche et varié qu’une rétroaction. 

Le feedback est un processus d’adaptation continu qui va, grandissant, dans le sens de la survie et de l’évolution de l’espèce. De la même manière que les gènes ont besoin de l’influence de l’environnement, notre cerveau a besoin de l’influence du feedback. » 

Je dois rajouter que j’ai une affection particulière pour les conversations imaginaires qui introduisent chaque chapitre de mon livre. Je les ai travaillées avec un degré de précision qui j’espère ravira les amateurs de récits à la croisée de l’histoire et du management.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Pour le coup, la réponse ici est évidente ! Mes travaux ont montré que l’émergence du sujet du feedback n’était pas un hasard. C’est le symptôme d’un phénomène beaucoup plus grand et qui touche tous les pans de la société. Je l’ai baptisé : la révolution des autorités.

Ma thèse est la suivante.

En quelques 300.000 ans, homo sapiens n’a inventé que deux grandes formes d’autorité. La première existe depuis l’aube de l’humanité et s’appelle l’autorité par soumission. La deuxième est beaucoup plus contemporaine. Je date son apparition à la sortie de la deuxième Guerre Mondiale. Je l’ai intitulée l’autorité par engagement. Si l’ordre est l’arme préférée de la première forme d’autorité, le feedback est celle de l’autorité par engagement.

Nous vivons un moment de notre histoire incroyable où les deux formes d’autorité s’affrontent et ne se comprennent pas. Tout mon travail consiste à démontrer qu’il ne faut pas les opposer et à expliquer comment réussir à les conjuguer concrètement. Chacune à son rôle et son utilité. Malheureusement, nous n’avons pas été éduqué comme cela.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous n’effacerons pas d’un coup de baguette magique 300.000 d’autorité par soumission. En bon darwinien que je suis, je sais qu’une forme d’interaction qui n’est pas éliminée par la sélection naturelle a son utilité. Ce n’est pas l’autorité par soumission qu’il faut combattre, ce sont ses dérives. Comme il faut combattre les dérives actuelles de l’autorité par engagement.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Je serais bien évidemment tenté de dire : achetez mon livre !

Au-delà du clin d’œil, l’idée essentielle pour moi est de rentrer en conversation. Avec son conjoint, ses collègues, sa hiérarchie, son voisin.. et avec soi-même ! Quand je parle de temps de qualité, je parle de moments sans jugement et dans lesquels nous n’avons comme seul objectif de se faire grandir et de faire grandir la relation. Car dans le fond, se comprendre et grandir ensemble, c’est cela le vrai pouvoir des conversations.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Comme je me passionne facilement, je vais avoir du mal à répondre en un mot. Bien sûr, la musique est toujours au cœur de mon travail. Vous ne pourrez pas passer à côté dans mon livre. Sur le plan professionnel, j’ai déjà commencé à écrire mon prochain livre sur les autorités. Mais c’est sur le plan personnel que sont mes vraies passions. J’ai la chance d’être le papa d’une famille nombreuse. C’est elle qui continuera à être le premier de tous mes combats…

Merci Stéphane Moriou

Merci Bertrand Jouvenot


Le livre : Feedback : le pouvoir des conversations, Stéphane Moriou, Dunod, 2023.

Un extrait du livre est disponible ici.