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Pourquoi Alibaba n’est pas comparable à Amazon

Les géants de l’e-commerce Alibaba et Amazon ne peuvent pas être comparés. Non seulement, le contexte dans lequel ils sont apparus était très différent, mais surtout, la maturité du secteur de la distribution extrêmement distincte.

L’innovation née de la contrainte

En 2003, Jack Ma lance un projet secret, un site Web très local, qu’il nomme Taobao, ce qui signifie chasse au trésor en chinois. À l’époque, la distribution et le commerce de détail en Chine sont loin d’avoir atteint le niveau de maturité d’aujourd’hui et très loin de ressembler à ce que nous connaissons en Europe. Le défi que se lance Jack Ma est précisément de sortir le commerce de son pays de cette phase artisanale pour l’industrialiser.

L’histoire va vite et beaucoup d’observateurs se souviennent de la victoire de Taobao sur eBay en Chine : à peine deux ans après la création de Taobao, la part de marché de la jeune entreprise explose et passe de 8 à 59 %, tandis que celle d’eBay chute de 79 à 36 %. En 2006, eBay annonce qu’en dépit d’énormes investissements, elle se retire du marché chinois. Dès lors, Taobao conserve sa position dominante et reste la plus grande plateforme de commerce électronique de Chine.

Taobao introduit deux nouveautés fondamentales : tout d’abord, elle apprend à la Chine à faire confiance à des investisseurs étrangers ; ensuite, elle écrit des pages de l’histoire du commerce mondial qui resteront dans les annales. Beaucoup d’observateurs passent à côté d’un point majeur d’ailleurs : en partant de rien, la plateforme a dû réinventer toutes les fonctions d’une entreprise moderne mais dans un environnement digital, de la vente au marketing, en passant par l’exploitation, la logistique et l’approvisionnement.

Le sous-développement relatif du commerce en Chine

Le sous-développement de l’immobilier commercial en Chine témoigne de la faiblesse de l’infrastructure de distribution du pays. Par habitant, la surface de vente au détail de la Chine a toujours été inférieure à celle de la plupart des pays développés. En 2011, la superficie commerciale par habitant des États-Unis était de 45,2 métrés carrés, celle de l’Australie était de 22,6 mètres carrés, tandis que celle du Japon était extrêmement élevée.
Les économies parvenues à maturité avaient déjà atteint 16,4 %. La Chine, quant à elle, ne possédait que 12,9 mètres carrés par habitant, dont une grande partie est devenue obsolète depuis. En raison de l’extrême diversité sociale et géographique de la Chine, les statistiques macroéconomiques ne disent qu’une partie de la vérité. La réalité est pire encore, la demande est bien là, latente, mais la Chine souffre encore de toutes sortes de déficiences infra structurelles, de carences dans les transports ou les communications, sans oublier les retards dans la finance.

Pendant la plus grande partie de la période moderne, la Chine n’a pas de marché national au sens traditionnel du terme. La réglementation contraint les marques à se cantonner à un marché régional, à l’intérieur d’une province. Certes, le marché intérieur d’une province n’est pas négligeable, puisque sa population y est plus importante que dans n’importe quel pays européen. Mais la diversité de la Chine ne favorise pas leur essor. Les coutumes et le climat varient énormément du nord au sud, d’est en ouest. Il y a cinquante-six ethnies reconnues, beaucoup ayant leur propre langue, et huit religions majeures. La géographie est très variée et le fossé entre le monde rural et le monde urbain se creuse. Les grandes marques comme McDonald’s, Nike et P&G, ou leurs homologues chinoises, prospèrent mais ne parviennent pas à s’affirmer comme des marques globales. La majorité des consommateurs chinois sont largement insatisfaits depuis des décennies.

Le vide créé l’opportunité

Le e-commerce intervient alors pour combler le vide que les entreprises traditionnelles ont laissé. Le e-commerce chinois connait une croissance beaucoup plus rapide que celle du commerce de physiques. De nouvelles marques apparaissent sur Taobao. Là où la Chine n’avait pas de média publicitaire à l’échelle nationale, Alibaba apporte une réponse. Là où la Chine n’avait pas de réseau de distribution nationale, l’ e-commerce s’immisce. Là où la Chine n’avait pas de système logistique national, l’e-commerce, sous l’impulsion d’Alibaba, établit un réseau. La même dynamique est à l’œuvre pour le financement et la création de PME.

L’histoire d’Alibaba se confond avec la transformation complète de l’inefficacité du commerce de détail chinois en un secteur moderne. Tandis qu’Amazon est devenu un énorme distributeur, a construit une infrastructure logistique, puis mis sous pressions les marques et les entreprises qu’elle héberge dans sa marketplace pour garantir une expérience client sans pareil, Alibaba s’est donné dès le premier jour la mission de « faciliter les affaires » grâce à Internet. Le concept central d’Alibaba en tant qu’entreprise est de permettre aux autres de faire des affaires, en se positionnant comme plateforme dès le premier jour. Aujourd’hui, Alibaba exploite une multitude de plateformes sur lesquelles une panoplie de fournisseurs de services tiers offrent des ressources et des solutions aux magasins physiques et en ligne, allant de la logistique au marketing en passant par la publicité, le paiement, le crédit à la consommation, etc. La vision stratégique d’Alibaba exige une collaboration à grande échelle ainsi que la construction et l’exploitation de systèmes vastes et connectés.

Alibaba est donc fondamentalement une plateforme, crée dans une économie dans laquelle la distribution était sous-développée et destinée à industrialiser tout un secteur. Sa logique est donc largement plus tournée vers les entreprises. Au contraire d’Amazon, obsédée par le client, qui a asservi des marques au sein d’une économie où le commerce était très mûr, profitant d’Internet pour développer une expérience utilisateur parfaite.