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Les professionnels des Ressources Humaines ont un rôle fondamental à jouer face à l’IA

Les promesses de disruption de nos métiers, de nos pratiques professionnelles, de nos schémas organisationnels que véhicule l’IA, occulte une réflexion éthique et responsable que les entreprises devront tôt ou tard mener. Et si la révolution de l’IA s’avérait davantage culturelle, humaine et sociétale que technologique ? Un point de vue que défend Emmanuelle Blons, l’auteur du livre L’entreprise disruptée – Les défis de l’IA pour les ressources humaines. Interview.

1. Bonjour Emmanuelle Blons, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Les progrès de l’IA se font à une vitesse foudroyante, et on assiste même actuellement à un certain emballement. Il est cependant indispensable, voire salutaire, de mener une réflexion sereine et rationnelle, afin de repérer les opportunités tout autant que les risques de l’intelligence artificielle, de rassurer les employés et l’encadrement, et démystifier les représentations biaisées.

Nous allons bien plus vers une intelligence humaine augmentée que vers une intelligence artificielle concurrençant l’homme.

En tant que professionnels des Ressources Humaines, il serait facile de se laisser entraîner dans le bruit médiatique et adhérer au clivage « travailleurs contre machines », mais cela reviendrait à oublier le rôle fondamental que les RH et leaders sociaux joueront dans la construction de nouveaux lieux de travail ; et d’activités mieux adaptés dans un futur émergent. Anticiper et comprendre les bouleversements actuels et à venir, c’est la seule façon de pouvoir agir, et non subir.

Cette question de l’emploi, qui passionne de façon compréhensible les médias, nous paraît cependant être l’arbre qui cache la forêt. Ce qui est en train de se produire, c’est avant tout une profonde transformation des organisations, enthousiasmante à bien des égards, qui nécessite un accompagnement soutenu du changement, mais dans laquelle la « fin du travail » ne constitue en aucune manière le sujet prioritaire. Tout au contraire, c’est la nature et la qualité du travail des femmes et des hommes en coopération avec les machines qui font l’objet de réflexion et d’attention de la part de tous ceux qui ont la tâche d’accompagner les mutations en cours, au premier rang desquels les responsables RH.

2. Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Le passage dans lequel je reprends le concept sur les ‘Fusions-skills’ de Paul R. Daugherty, en expliquant que la collaboration homme- machine requiert le développement de 8 « compétences de fusion » (Fusion Skills)

Chacune de ces compétences renforce la fusion entre l’homme et la machine pour améliorer les résultats d’un processus métier. Ce qui diffère des ères précédentes, c’est justement l’intéraction Homme-Machine : La machine apprend de vous et vous apprenez d’elle, créant ainsi un cercle vertueux d’amélioration des processus.

J’ai sélectionnées quatre de ces « compétences de fusion », qui me semblent particulièrement pertinentes.

Réhumaniser le temps : la capacité à utiliser son temps disponible pour des taches de socialisation, création, prise de décision

Jugement : capacité à décider d’une ligne de conduite quand la machine est incertaine sur la tâche à effectuer

L’Interrogation intelligente : Savoir quelle question poser à l’IA, avec différents niveaux d’abstraction, pour obtenir les réponses dont vous avez besoin.

L’Imagination permanente : capacité à créer de nouveaux processus et de nouveaux modèles à partir de zéro, plutôt que de simplement automatiser d’anciens processus.

Cette dernière compétence, reflète l’essence même de la collaboration Homme – Machine. Il serait totalement inutile d’insuffler de l’IA en calquant nos anciens modes d’organisation du travail. Il convient de se servir de l’opportunité que nous offre l’IA pour tout réinventer.

3. Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Je ne vais pas citer d’avancées technologiques ici car elles sont incertaines, trop rapides pour ne pas devenir obsolètes en quelques mois. Et surtout peu intéressantes en tant que telles. Ce qui est passionnant, c’est comment l’homme les utilise. Pour en faire quoi, comment ? Je crois énormément dans le développement des compétences humaines. Les compétences émotionnelles vont devenir centrales, car sans elles, l’Intelligence Artificielle n’a aucun sens ! Il était temps !!

4. Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Faites-vous votre opinion ! Ne laissez pas les prédictions apocalyptiques vous submerger. Formez-vous ! De nombreux cours gratuits en ligne existent, comme par exemple : Coursera AI for Everyone ou les cours du CNAM sur le Manager Augmenté.

Lisez des articles, ouvrages et participez à des conférences. L’important est de comprendre ce qu’est l’IA et surtout ce qu’elle n’est pas ! De comprendre comment utiliser son IH (Intelligence Humaine) pour éviter l’IA (l’ignorance Artificielle) !

En tant que DRH, appropriez-vous l’utilisation de l’IA au sein de la DRH, afin d’être pilote sur les différents processus : recrutement, performance, formation, mobilité.

Soyez acteurs face à cette vague de l’IA.

5. En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Je travaille actuellement sur deux sujets que je souhaite approfondir dans les mois qui viennent : 

– L’apprentissage tout au long de la vie  

– IA et Leadership

Merci beaucoup, Emanuelle.

Le livre : L’entreprise disruptée – Les défis de l’IA pour les ressources humaines, Emmanuelle Blons, Dunod, 2019.