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La question qui tue à Loïck Roche

La guerre des intelligences artificielles menace. Les plus pessimistes avancent qu’elle aurait déjà commencé. L’occasion de poser une question qui tue à Loïck Roche, Dean & Directeur général GEM et aussi Linkedin Top Voice 2017 : Si les intelligences le sont, pourquoi se font-elles la guerre ?

 

 

Question qui tue… et même deux fois. La première fois, par définition, puisque dans la catégorie des questions qui tuent. La seconde fois, dans son interrogation même qui réfère à la guerre.

 

Précaution d’usage, ou conjecture, question à entendre : « Si les intelligences sont intelligentes, pourquoi se font-elles la guerre ? » Ce qui déjà détricote la question, l’adjectif intelligent, s’il se rapporte au sujet intelligence, dans la question du moins, ne découlant pas nécessairement de celui-ci…

 

Je pourrais continuer ainsi, mais cela ne ferait pas beaucoup avancer les choses, alors, venons-en aux faits ou, plutôt, aux différentes associations d’idées. Sans structuration, sans intelligence formelle ou intelligence intelligente aurait dit Jean Piaget, psychologue et épistémologue. Mais plutôt, par ce qu’il aurait appelé une intelligence vitale, autrement dit une intelligence adaptée, ce qui, il faut le noter, pour Piaget toujours, aurait été un pléonasme, lui qui définissait l’intelligence intelligente justement comme la capacité d’adaptation.

 

Première idée : non, les intelligences — si l’on réduit celles-ci aux seuls savoirs et connaissances ­– ne sont pas toujours intelligentes ! Comme aucune théorie n’a jamais guéri aucune angoisse ou aucune névrose (Françoise Giroud), on peut, dans le même ordre d’idées, c’est vrai d’ailleurs dans bien d’autres domaines, tout connaître des théories du leadership et être un très mauvais dirigeant. Comme on peut ne rien connaître des théories du leadership et être un remarquable dirigeant.

Remarquons au passage que la non-connaissance, elle, n’est pas exclusive d’un comportement adapté et donc intelligent. Une intelligence intelligente pour le coup que d’aucun pourrait appeler émotionnelle ou autre. Qu’importe d’ailleurs comment on la nomme, dès lors qu’on la distingue de l’intelligence pure, l’intelligence intellectuelle, qui elle, nous commençons à le comprendre maintenant, ne fait pas toujours bon ménage avec la raison pratique et, moins encore, rempart à la bêtise, ou à la guerre.

 

Puisque je parle là de la guerre, c’est aussi un point qu’il faut regarder avec attention. Car une fois évacuée l’imbécile de la guerre pour la guerre, il existe bien d’autres guerres et, parmi celles-ci, des guerres qui peuvent être dites nécessaires parce que justes. Guerres menées pour rétablir la démocratie, guerres menées pour repousser des agressions…

Autres guerres, celles-ci non armées — ou, plus exactement, armées autrement — les guerres économiques, commerciales ; les cyberguerres et guerres informatiques ; les guerres froides et guerres psychologiques… Pour chacune d’elles, nous pourrions sans doute, là aussi, séparer, d’une part, les guerres imbéciles, les guerres pour la guerre, les guerres de destruction qui ne sont jamais que le support vivant des pulsions de mort des hommes (il faut bien des hébergeurs des intelligences, étant entendu que je parle ici de « l’intelligence humaine » et non d’autres formes d’intelligence comme « l’intelligence artificielle »…) et, d’autre part, de l’autre côté du fléau de la guerre en quelque sorte, les guerres nécessaires pour rétablir le droit, rétablir des libertés, pour se défendre plus simplement.

 

Retour à l’intelligence, plus précis, retour à l’intelligence émotionnelle. Cette forme d’intelligence m’intéresse car elle est consubstantielle à cette idée que la première intelligence est l’intelligence des cœurs — ou, ce qui revient au même, l’intelligence physique ou intelligence des corps.

Une intelligence du ressenti, de l’éprouvé, de l’expérimentation, du vécu, une intelligence nécessairement subjective, non objective, et moins encore intellectuelle.

Une intelligence intelligente qui fait capacité à comprendre d’abord physiquement les choses et les êtres. Une intelligence intelligente qui me permet de m’éprouver dans l’altérité, c’est-à-dire le caractère de ce qui est autre (Lévinas) — un autre, c’est là mon premier apport, qui peut être un être bien sûr, mais également une situation, une problématique, un Evénement, un drame, une joie…

Penser le caractère de ce qui est autre (dont on sait maintenant qu’il peut revêtir plusieurs formes) fait ouverture à la capacité, ce que rappelle Raphaël Einthoven, de penser la place de l’autre. Mieux, c’est là mon deuxième apport, la capacité à me décentrer de ce que je suis et ressens pour penser l’autre.

 

Penser l’autre, on tient là l’exacte définition que je donne de l’éthique ! Dès lors, et tout autant, on tient là un fil, un fil à plomb en quelque sorte qui nous permet de dire si l’intelligence, parce qu’elle s’inscrit ou non dans cette verticalité, est intelligente ou pas.

 

Une intelligence intelligente qui, pour rester dans cet alignement juste et parfait avec cet idéal, doit pouvoir, et à chaque instant, être réévaluée. Le fil à plomb de l’éthique étant toujours à reconsidérer si l’on veut se parer contre les dérives et facilités dont on sait qu’elles mènent toujours à se trahir soi pour faire intelligence avec l’ennemi.

 

Loïck Roche

Directeur général

Grenoble Ecole de Management


Le principe de la Question qui tue et les règles du jeu sont simples :

1 – L’interview est composée d’une seule et unique question.

2 – Celui ou celle qui répond, doit le faire exclusivement par e-mail.

3 – L’interviewé a carte blanche et nous n’intervenons aucunement sur sa réponse.

4 – La réponse doit contenir à minima une dizaine de lignes, mais peut faire plusieurs pages.

5 – Toutes les photos, tous les liens hypertextes, toutes les vidéos, sont les bienvenues.

6 – L’interview est publiée sur mon blog et sur Linkedin

7 – L’interviewé fera de son mieux pour répondre aux commentaires laissés sur Linkedin notamment.

 

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