jouvenot.com

Ignorez le paradoxe de Moravec, à vos risques et périls !

Les robots savent penser ou marcher. Mais ils sont incapables de faire les deux en même temps. Un constat qui rassurait les plus fervents techno-pessimistes, il y a peu encore. Mais la roue tourne. Pire, les progrès technologiques pourraient se conjuguer avec une terrible régression sociale. Descente en enfer.

Dans les domaines de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de la robotique, le paradoxe de Moravec proposé par Hans Moravec, chercheur de l’Université Carnegie Mellon, stipule qu’il est plus facile de réaliser des activités humaines complexes que de remplir des fonctions de base. A titre d’exemple, il est plus facile de développer un algorithme capable d’effectuer des milliers de calculs mathématiques hyper sophistiqués qu’un algorithme capable d’imaginer une intrigue toute simple. Les robots peuvent concevoir des smartphones ou les voitures de demain mais sont incapables de faire un lit ou d’entretenir un jardin mieux qu’un homme.

Les robots n’ont pas dit leur dernier mot

Pourtant, Erik Brynjolfsson et Andrew MacAfee considèrent qu’avec des robots comme Baxter nous serions en train d’ébranler le paradoxe de Moravec. Baxter est un humanoïde que son fabriquant, Rethink Robotics, a muni d’un iPad en guise de visage et de bras mécaniques que les hommes peuvent actionner. Mais, la grande nouveauté est que Baxter est capable de se souvenir de ses mouvements, pour les refaire ensuite, sans faire de pauses café, ni se déconcentrer en discutant avec ses collègues, ni tomber malade, ni demander une augmentation de salaire, ni poser des congés, ni se syndiquer…

De quoi faire peur et se dire que nos emplois seront tôt ou tard menacés !

Les hommes organisent leur résistance

Cependant, même les plus techno-optimistes, les spécialistes de la data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle admettent de concert que les robots ne remplaceront jamais les hommes lorsqu’il s’agit de :

  • Trouver et développer des idées nouvelles.
  • Avoir des contacts humains et entretenir une relation interpersonnelle.
  • Faire preuve d’empathie.
  • User de soft skills comme l’intelligence émotionnelle, l’écoute, la pédagogie, l’adaptabilité, la gestion du stress, la capacité à prendre des décisions, l’apprentissage, la motivation des autres, le leadership, l’assertivité, la proactivité, l’anticipation, la bienveillance, le sens de l’improvisation… ou tout simplement le bon sens.

Des professions qui resteront le bastion du travail humain se bousculent déjà au portillon. Ce sont toutes celles qui :

  • Font appel à des savoir-faire manuels requérant adresse et perspicacité (horloger, coiffeur, cuisinier, chirurgien…)
  • Sollicitent les émotions (musicien, décorateur, styliste…)
  • Exposent l’humain à des risques (sage-femme, infirmier…)
  • Requièrent de l’empathie (commerçant, vendeur, conseiller…)
  • Reposent sur l’échange (réceptionniste, professeur…)
  • Nécessitent de la créativité (artiste, artisan, développeur informatique…).

L’intelligence artificielle subit la mauvaise influence de l’homme

Mais pour l’heure, le paysage est encore un peu sombre. Car les limites des algorithmes font également naître une nouvelle forme de travail que symbolise parfaitement The Mechanical Turk d’Amazon, une plateforme sur laquelle s’inscrivent des particuliers (des travailleurs) d’un côté, et des entreprises de l’autre. Le principe est simple : les entreprises proposent des micro-taches, auxquelles sont associées une rémunération (en général minime, 10 cents, 20 cents, 0.25 dollar) assorties d’un temps alloué : traduction de fragments de textes, transcription de sons en textes, classement d’images en différentes catégories, tagage (identifier des objets sur une image et nommer ces objets), etc.

The Mechanical Turk (ou Turc mécanique en français), est une référence à un très célèbre canular de la seconde moitié du dix-huitième siècle. Le Turc mécanique était un automate, qui avait l’apparence d’un Turc, capable de résoudre quelques problèmes compliqués et même de jouer aux échecs. Il battit même à ce jeu Napoléon ou Benjamin Franklin. Mais c’était une supercherie : à l’intérieur de l’automate, se trouvait un être humain qui manipulait le mannequin. Le Turc mécanique a fasciné les Européens de la fin du dix-huitième siècle, même après que la supercherie fut dévoilée. Un canular que n’ignore pas Amazon qui s’y réfère, ajoutant sur son site une base line quelque peu cynique « artificial artificial intelligence », « artificielle intelligence artificielle », conscient que son service est une sorte de supercherie contemporaine. D’aucuns croient que les entreprises qui vous vendent des transcriptions de réunion minute ont recours à des logiciels hyper perfectionnés ? Eh bien non, elles ont recours au Turc mécanique d’Amazon, autant dire à des petites mains éparpillées dans le monde entier qui pour quelques cents transcrivent en quelques minutes des petits morceaux de la réunion, découpés ensuite par des algorithmes, distribués par des algorithmes, puis agrégés ensuite par des algorithmes, encore et toujours. Idem pour le classement d’images, idem pour des identifications de personnes sur des photos. Malgré les progrès de la technologie, il demeure encore très compliqué pour un ordinateur d’identifier des objets sur une image, de classer des images en catégorie ou de traduire convenablement.

Sommes-nous condamnés à choisir entre le pire de l’homme et le pire de la machine?

Le plus fascinant est qu’on est ici à la fois dans une forme de travail hyper-contemporain (mondialisé, organisé par des algorithmes, technologique) et précarisant pour l’homme avec des tâches qui ne requièrent que peu de qualification, des tâches faiblement gratifiantes et surtout quasi indignes de l’homme.

Par-delà le paradoxe de Moravec, un autre paradoxe voit le jour. Les hommes, pourtant plus intelligents que les machines, se retrouvent confinés à l’exécution des tâches les plus simples, tandis que les machines réalisent les tâches les plus complexes, les plus intelligentes, les plus nobles. Nous entrerions donc dans une forme de régression historique, du moins concernant le travail ? Ils appartient alors aux hommes de décider quel scénario ils voudront privilégier pour demain :

  1. Les homme et les machines effectuent tous deux des tâches simples. Un scénario qui correspond finalement à la période située avant la révolution industrielle (l’artisanat mis à part).
  2. Les machines effectuent des tâches simples et les hommes des tâches complexes. Un scénario qui concorde plutôt avec la révolution industrielle accompagnée par l’invention du taylorisme.
  3. Les homme effectuent des tâches simples et les machines des tâches complexes. Un scénario illustré à l’heure où nous écrivons par le Mechanical Turk d’Amazon.
  4. Les homme et les machines effectuent tous deux des tâches complexes. Un scénario qui reste à écrire.

A propos d’écriture, Zola doit se retourner dans sa tombe.