jouvenot.com

Cumuler les jobs, un métier d’avenir ?

En cumulant les emplois au gré de ses envies et de ses inspirations, plusieurs millions de slasheurs sont en passe de changer le travail en France. Mais se réinventer à l’envi(e), pour répondre à l’accélération et aux enjeux du monde ne s’improvise pas. C’est même un métier dont Marielle Barbe nous révèle toutes les ficelles dans son livre Profession Slasheur.

1. Bonjour Marielle Barbe, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Lorsque j’ai découvert que j’étais une slasheuse – c’est à dire une personne qui a besoin que sa vie professionnelle s’articule autour de plusieurs activités différentes pour se sentir épanouie et ne pas s’ennuyer – j’ai compris que contrairement à ce que je croyais depuis des années, je n’étais ni instable, ni touche à tout, ni inadaptée pour le monde du travail.
Mais que bien au contraire, être un slaheur* est une valeur ajoutée indispensable pour faire face aujourd’hui aux évolutions exponentielles du monde et du monde du travail.
Et quand j’ai fait mon “coming out professionnel” et ai enfin oser revendiquer l’hybridation de ma vie professionnelle, ma grande surprise a été de découvrir que de nombreuses personnes se reconnaissaient elles-aussi, dans ce fonctionnement et me remerciaient de leur donner la permission de s’affranchir à leur tour, du diktat de la mono-activité.
C’est cela qui m’a donné envie d’écrire un livre pour aider les slasheurs : ceux qui s’ignorent et/ou ceux qui souffrent de ne pas rentrer dans les standards du travail.
Ce livre les invite avant tout à porter un regard nouveau sur leur réalité professionnelle et sur le monde du travail en général. Conçu comme une “véritable boite à outils”, j’avais à cœur de leur donner des clés, des conseils, des pistes pour transformer leur différence, en force, en atouts, en trésor à multiples facettes.
Le livre accompagne trois étapes fondamentales dans le processus d’un slasheur souhaitant se donner toutes les chances d’optimiser son profil multiple.

  • La première étape analyse les différents enjeux et profils de slasheurs. Elle pose des repères, des grilles de lecture pour mieux se situer.
  • La seconde conçue comme une “boîte à outils” de développement personnel, propose des exercices, des jeux, des tests… pour explorer ses grandes familles de passions, de métiers, d’activités. Elle conduit à révéler les atouts, le sens et le fil conducteur de sa vie professionnelle.
  • La troisième a pour objectif d’aider à intégrer et à valoriser son nouveau profil “multi”. Elle permet d’identifier ses offres, de trouver les outils de communication et les statuts adaptés, mais aussi, de travailler sur ses croyances limitantes pour faire sienne cette nouvelle réalité.
  • Enfin, pour favoriser l’identification, inspirer, conseiller et rassurer, ce livre s’appuie sur de nombreuses interviews, témoignages et/ou portraits de slasheurs.Des “experts” apportent leur éclairage sur les différents sujets abordés.

2. Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Le sens que j’ai donné à ma vie professionnelle


À la question du sens de la vie, hormis peut-être les personnes qui poursuivent des ambitions de gloire et de richesse, la plupart d’entre nous répondent: être utile et être heureux. Dans son livre Bouddha rebelle, Ponlop Rinpoché, maître tibétain atypique, fan de rock et de séries américaines, est plus radical. Selon lui, «d’un point de vue bouddhiste, la vie n’a ni sens ni objectif». Sa réponse «prend en compte la réalité de l’impermanence, le fait que rien n’existe en soi, que rien ne dure, que tout change sans cesse». Il considère que «si nous naissons pour suivre des objectifs précis, nous sommes emprisonnés dans des schémas, des directions. C’est contraignant, sclérosant. Il est préférable de créer les buts que nous nous fixons au fur et à mesure que nous évoluons. Nous possédons tous la liberté de le faire. Le savoir nous encourage à devenir autonomes, à nous déconditionner de notre éducation, de nos peurs, de nos habitudes. Cela demande du courage, de faire preuve de discernement et de patience. Mais procéder ainsi, c’est vivre en cohérence avec la loi de l’impermanence. Tout bouge constamment. Le sens que nous donnons aux choses aussi».
Ses propos ne peuvent mieux traduire ma perception du sens à donner à sa vie. J’ai construit mon parcours comme le Petit Poucet, caillou par caillou. Mais j’ai pris le soin de choisir des cailloux qui me ressemblent chaque fois un peu plus. Mon chemin est donc bien la somme de ces petits et gros cailloux. Il n’est jamais le même. Il change à chaque instant. Et en avançant sur ce chemin, comme le dit si bien Rinpoché, le sens que l’on donne à sa vie ne peut qu’évoluer.

3. Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Je ne dirai pas que ce sont des tendances auxquelles je crois, mais plutôt des tendances que je voir émerger autant chez les indépendants, que dans les entreprises, et autant chez les jeunes, les actifs que les séniors.
Ce qui me paraît évident c’est que la relation que nous avons au travail ainsi que nos représentations sont en train d’évoluer de manière fulgurante, de voler en éclats.
La norme du travail basée sur la mono-activité et la promesse de la sécurité de l’emploi ne correspondent plus du tout aux aspirations des jeunes.
Bien évidemment nombre de causes concrètes sociétales liées à l’emploi, à l’économie… y concourent, mais je pense que nous sous-estimons totalement la part qui revient au changement de paradigme des aspirations personnelles de chacun. En réalité, je pense que nous vivons une véritable évolution des consciences qu’incarnent pleinement les générations Z et Y ?.
Diverses études en témoignent, notamment “la grande InvaZion” menée par The Boson project et BNP Paribas**. En effet, cette génération ne croyant plus et n’espérant ni en un emploi pour toute la vie, ni en la sécurité de l’emploi, expriment en revanche :

  • pouvoir donner du sens à leur vie et donc choisir leur métier par passion plutôt que par raison (84,5%).
  • être fiers d’eux-mêmes tout en s’affranchissant des conventions de manière ç s’affirmer en tant qu’individu et s’épanouir (72%).
  • trouver un métier qui leur garantisse un équilibre vie pro/vie perso (40%).

Un rapport de l’OCDE paru en 2015, a fait émerger que les moins de trente ans feront en moyenne 13 métiers (pas jobs) dans leur vie.
Et un autre sondage récent, que 2 personnes sur 3, toutes générations confondues ont envie de changer de métier…

Aussi, je suis convaincue que dans quelques années chacun pourra concevoir sa vie professionnelle de manière singulière sans que cela lui soit reproché, ou soit stigmatisé. Celle-ci pourra être plurielle, hybride y compris dans les entreprises. Un collaborateur pourra, par exemple, dans la même entreprise être community manager quatre jours par semaine et prof de yoga pour ses collègues un jour par semaine.
Et selon moi, le grand changement passera par la prise de conscience (nécessaire) des entreprises, des institutions (y compris du système scolaire) qu’un individu pour se sentir épanoui, a besoin de sentir qu’il a la possibilité, la permission, le droit, de faire évoluer sa vie professionnelle au fil de son évolution personnelle, au gré de ses aspirations et bien évidemment de l’acquisition de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences.
Cela paraît pourtant tellement logique, n’est-ce pas une question de bon sens, un signe même de bonne santé, car la vie par essence n’est-elle pas impermanente, sans cesse nouvelle, renouvelée ? Alors pourquoi en serait-il autrement de la vie professionnelle ?

4. Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Et bien justement ce serait qu’il puisse regarder son parcours professionnel “autrement”, qu’il puisse re-questionner le diktat de la norme du travail et ose se départir de sa représentation la plus commune.
Qu’il ne le perçoive plus à l’aune d’une carrière qui se construit en gravissant laborieusement des échelons verticaux ou encore d’une autoroute toute tracée, d’une voie unique dont on connaît le point de départ et la supposée ligne d’arrivée avant la retraite.
Mais plutôt de l’envisager de manière organique, au même titre que la vie. Comme un chemin qui peut prendre multiples formes, trajectoires, voies, qui peut connaître des bifurcations, s’autoriser des pauses, des remises en questions, qui peut en permanence se réinventer au gré de ses besoins, de ses envies et des opportunités que la vie nous offre.

5. En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Et bien cette question chez moi se conjugue toujours au présent. Tant de sujets me passionnent, c’est d’ailleurs cette curiosité insatiable, cette soif d’apprendre, ce besoin d’évoluer qui sont les moteurs de ma vie. Qui me mettent en joie.
Tant de causes me donnent envie de me lever le matin, de me mobiliser (l’écologie, l’éducation, le “mieux-vivre” dans une dimension “éco-logique” et holistique…) que même ma vie de slasheuse n’y suffira pas.
Mais si je devais le résumer, mon prochain ”sujet” ou cheval de bataille – même s’il est totalement en lien avec les slasheurs – c’est dans de faire comprendre qu’il est primordial de cultiver et de promouvoir la curiosité à l’école, en entreprise et tout au long de la vie.
Je déplore que la curiosité soit associée à un “vilain défaut” car elle est non seulement une des plus belles qualités mais surtout une clé indispensable pour répondre autant à des besoins personnels en terme de bien-être d’épanouissement, qu’à l’amélioration de la performance de l’entreprise, dans une équation gagnant-gagnant.
Et plus globalement, pour apporter des solutions créatives, innovantes, disruptives et utiles pour faire face aux enjeux de société actuels et majeurs !


Merci beaucoup, Marielle.


Le livre : Profession Slasheur, Marielle Barbe, Marabout, 2019.

Note :

Qui sont les slasheurs* ?
Les terme slasheur vient du signe typographique (/). Il désigne des personnes qui cumulent différentes activités professionnelles en même temps.
Une étude menée en France en 2015 et 2016 par le salon SME a révélé que plus de 4,5 millions de personnes (soit 16% de personnes sont des slasheurs) et 70% le sont par choix.

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot | Conseiller | Auteur | Speaker | Enseignant | Blogueur

Interview initialement publiée sur le blog de Bertrand Jouvenot