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Comment Google ruine les grands groupes

L’achat de mots clés via Google AdWords a pris une part considérable dans les budgets marketing des entreprises. En laissant leurs différentes entités acheter des mots clés sans coordination, les grands groupes les laissent enchérir les unes contre les autres, pour le plus grand profit de Google. Une gouvernance de l’achat de mots clés est à inventer.

Le système d’achat de mots clés permettant de figurer dans les premières positions des résultats de recherches effectuées dans Google repose sur un système d’enchères. Seules les quelques marques qui ont suffisamment enchéri figureront dans ces premières positions tant convoitées, parce que donnant les meilleurs résultats en termes de visibilité, de conversion de visiteurs en acheteurs, etc. La mécanique même de ce système garantit à Google de vendre systématiquement de l’espace publicitaire, nouvelle génération, au prix maximum que les marques sont prêtes à payer. Ainsi, des entreprises concurrentes comme le LCL, la BNP, la Société Générale et HSBC enchériront pour que leurs annonces publicitaires (comme une nouvelle offre de crédit immobilier) figurent parmi les résultats de recherche obtenus en tapant des mots clés tels que « prêt immobilier », «crédit immobilier », « Loi Périssol », « devenir propriétaire », etc.

Au sein des grands groupes, des entités, des filiales, des business units, des marques différentes enchériront les unes contre les autres, sans le réaliser. Plusieurs marques d’un même groupe de luxe, pourtant non concurrentes puisque elles se trouvent respectivement dans le parfum, la maroquinerie ou le bijou, enchériront les unes contre les autres en se positionnant sur des mots clés tels que « Saint Valentin », « cadeau », « Noël », « luxe », «mode», etc. Les groupes dont les produits sont présents sur les linéaires des supermarchés tomberont dans le même piège, laissant leurs entités, appartenant pourtant à des univers de produits différents (cheveux, cosmétique, alimentaire…), avec des mots clés comme « bien-être », «équilibre », « rajeunissant », « sans paraben », « bio », « sans gluten », «effet satiné », « brillance », « protecteur », etc. Si lesdites entités passent par des agences différentes et/ou recourent à des solutions d’achat de mots clés automatisés (Real Time Bidding), le phénomène ne sera qu’amplifié.

La dimension internationale du business ne résout même pas le problème et l’empire parfois. Si un groupe ne vendait que des parapluies dans différents pays, certes chacune des filiales des pays enchériraient pour des mots clés différents « parapluie » en France, « umbrella » en Angleterre, «ombrello » en Italie et «regenschirm » en Allemagne. Mais la réalité est autre. Il n’est pas rare de voir différentes filiales de pays d’un même groupe enchérir les unes contre les autres autour de mots comme jean ou T-shirt (qui se disent jean et T-shirt aux Etats-Unis, comme en France, en Espagne, en Chine, etc.), ou encore sneakers, chic, derby, It Bag, best-seller, lipstick, nail, make up, people, smartphone, total look, streetwear, casual, city, sportswear, PC, running, zen, indus, vintage, gaming, piercing, top model…

La compétition interne, historiquement entretenue entre les filiales et les entités des différents groupes ne fera que servir en premier lieu Google, en attendant que les entreprises le comprennent et organisent une gouvernance de l’achat de mots clés, dont les contours restent à inventer. D’ici-là, vous pouvez toujours effectuer une recherche avec l’expression « gouvernance de l’achat de mots clés » dans Google, mais cela risquerait de simplement vous suggérer de lire un article intitulé « Comment Google ruine les grands groupes » et que vous être précisément en train de lire et que vous venez même de terminer.

New York, Etat-Unis
Hiver 2019

Article initialement paru dans le Journal Du Net