jouvenot.com

La permaculture appliquée à l’entreprise, une idée fertile

Et si les principes de la permaculture pouvaient s’appliquer à l’entreprise ? Une hypothèse que Constance Laroche explore dans son livre L’entreprise fertile. Retournons la terre, bêchons, semons et arrosons avec elle, afin de voir si la récolte est bonne. Allons au jardin le temps d’une interview.

 

 

Bonjour Constance Laroche, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Constance Laroche : C’est le confinement qui m’a donné l’occasion inattendue d’écrire ce livre L’Entreprise Fertile. Son thème portant sur l’application de la permaculture en entreprise s’est révélé à moi il y a environ deux ans, quand j’ai commencé à m’intéresser à la permaculture. J’ai découvert une philosophie pleine de bon sens qui s’inspire du vivant et nous encourage à observer le fonctionnement de la nature pour en répliquer les modèles et faire en sorte que nous devenions collectivement plus résilients, plus humains et plus en harmonie avec notre environnement. En parallèle, j’étais en plein questionnement concernant ma place dans l’entreprise et la contribution de mon métier dans la création d’un avenir commun plus radieux. J’étais en quête de sens et je voyais de plus en plus de collègues et d’amis souffrir au travail. Cette souffrance était parfois presque sourde mais elle était tout de même bien présente avec la difficulté constante de concilier vie de famille et vie professionnelle, avec des entreprises qui demandaient plus, plus vite, et des salariés qui se sentaient coupables ou las de ne pas pouvoir répondre à ces exigences toujours plus grandes.

 

Au travers de cette philosophie, je me suis forgée l’idée qu’on devait pouvoir en appliquer les bonnes idées dans le monde professionnel mais sans trop savoir comment faire. J’ai poursuivi ma quête de connaissances en permaculture au travers de stages, de rencontres, et de lectures. Plus j’avançais dans cette connaissance et plus j’étais convaincue qu’il y avait des choses à faire auprès des entreprises pour qu’elles retrouvent davantage d’humanité, que les collaborateurs se sentent épanouis et qu’elles restent au final performantes. J’ai donc commencé à expérimenter cette approche auprès de petits groupes. J’ai vu les relations changer progressivement. Et j’ai vu que cela fonctionnait. Le premier confinement m’a donné le temps de mettre sur papier ces idées pour qu’elles puissent servir à tous et que chacun et chacune puissent se les approprier, les tester, les adapter et en apporter d’autres pour que le rapport à l’entreprise évolue dans le bon sens.

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Constance Laroche : Un passage qui représente bien qui je suis, ma personnalité serait le suivant :

 

« Je ne suis pas une personne qu’on peut qualifier de compétitrice. J’aime jouer pour jouer et non pour gagner. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas gagner, mais simplement que la victoire n’est pas le but que je cherche à atteindre en priorité. Ce qui me plaît dans le fait de jouer, c’est le plaisir d’un jeu en équipe, l’amusement qu’on en retire, les discussions, la cohésion du groupe. Le système éducatif et professionnel que j’ai connu ne m’a montré qu’un monde où seuls les compétiteurs sont valorisés et reconnus comme les héros de notre société. Pire encore à mes yeux, la collaboration et la bienveillance sont vues comme des signes de faiblesse et ceux qui croient en ces valeurs taxés d’excès de gentillesse. Celle-ci est elle-même perçue comme une faiblesse qu’il faudrait éradiquer pour le bien de l’efficacité. C’est un vrai problème pour moi, car, tout comme la cohésion ou la collaboration, il s’agit précisément des valeurs que je recherche professionnellement. Traitée d’utopiste ou d’idéaliste, on me faisait comprendre qu’il fallait que je change, ce qui m’était totalement contre nature.

 

Quand j’ai décidé que je ne voulais pas changer, quand j’ai découvert la permaculture ainsi que la littérature sur d’autres modes de management, j’ai compris que je n’étais pas seule dans ce cas, que nous étions nombreux à avoir les mêmes attentes. Personne n’a besoin de changer. Tout le monde a une place dans le monde professionnel, avec des choses uniques à apporter. »

 

Et j’ai également choisi un autre passage qui résume les messages que j’essaye de faire passer dans le livre et les valeurs qu’il me semble important de défendre : la collaboration, le respect de notre environnement, notre pouvoir individuel de changement et la force du collectif pour le réaliser. Plus que jamais nous avons besoin d’espoir et d’optimisme !

 

« Suite à la crise sanitaire que nous venons de connaître, l’occasion nous est donnée de repenser le monde dans lequel nous voulons vivre, ce « fameux jour d’après » que nous espérons bien différent des jours passés et qui porte en lui tous nos rêves et nos aspirations les plus belles. Ne la laissons pas passer. Profitons de ce moment de questionnement général pour redéfinir le monde du travail que nous souhaitons : les relations professionnelles, le rythme de travail, le poids de l’humain par rapport à celui de la finance, la consommation de toutes les ressources.

Ralentissons.

Redéfinissons l’humain comme valeur centrale de l’entreprise.

Limitons nos ressources et envisageons une croissance raisonnable.

Agissons avec indulgence, bienveillance.

Retrouvons sens et responsabilité. 

Croyons collectivement en la puissance de l’optimisme.

Agissons au profit de tous.

Ayons la conviction que nous pouvons être des hommes et des femmes de bien.

 

[…] On ne décide pas de changer l’entreprise et d’adopter un nouveau regard, celui de la permaculture, uniquement pour augmenter son chiffre d’affaires, devenir plus rentable, à court terme, améliorer ses indicateurs de performance ou sa relation client. Il est bien tout à fait souhaitable et recommandé que l’entreprise y parvienne, car elle a besoin d’argent pour survivre. Mais ce ne peut être son unique volonté profonde. On ne décide pas non plus de changer par peur de l’avenir. On le fait avec enthousiasme, envie et passion, moteurs de nos actions individuelles et collectives.

 

L’entreprise qui fait le choix de la permaculture décide de changer en profondeur sa relation à l’humain et à la terre.

Elle fait le choix d’un développement plus lent mais plus respectueux du monde dans lequel elle s’inscrit.

Elle fait le choix de contribuer à l’amélioration du bien commun.

Elle fait le choix d’une fertilité créatrice de richesses à partager et non de l’opulence individuelle.

Elle fait le choix des hommes et des femmes qui la composent et non de son bilan financier.

Elle fait le choix d’expérimenter, de se tromper et recommencer pour décider de son avenir.

Elle fait le choix du Nous, pour tous, pour demain.

Elle fait le choix de la vie, pour que celle-ci reste au cœur de l’entreprise. »

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

Constance Laroche : Je crois en une prise de conscience morale des impacts environnementaux dans les stratégies des entreprises, non plus seulement sous l’angle du risque financier mais d’une véritable volonté à ne plus détruire massivement. Les dirigeants vont devoir intégrer de plus en plus ces problématiques dans leurs stratégies. J’espère que ce changement s’opérera non pas par la contrainte mais avec un véritable enthousiasme et une envie de limiter nos impacts sur l’environnement. Je pense que cette intégration des problématiques environnementales va s’accroître au fil des années. Le réchauffement climatique fait de plus en plus de bruit dans les media. Même si le sujet n’est malheureusement pas nouveau, il commence à trouver écho auprès du grand public. La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre en est un nouvel élément déclencheur pour beaucoup. Et les entreprises doivent prendre leur part de responsabilité dans cette lutte. Elles seront accompagnées dans leurs efforts par des collaborateurs de plus en plus nombreux soucieux de travailler dans des entreprises qui prennent soin de l’environnement, ou a minima qui ne contribuent pas à le détruire. Il suffit de regarder les préoccupations des jeunes diplômés par exemple pour se rendre compte qu’ils sont de plus en plus nombreux à vouloir intégrer des entreprises qui auront un impact positif.

 

Je crois aussi que les entreprises vont développer la participation de leurs collaborateurs et celle de les parties prenantes dans leurs prises de décisions. Prendre conscience des talents de chacun et laisser davantage d’autonomie à leurs collaborateurs pour coconstruire l’avenir de l’entreprise en intégrant les partenaires extérieurs comme les fournisseurs, les clients, les actionnaires, les collectivités ou les associations. Considérer que les décisions collectives sont meilleures que celles prises par une seule personne car elles intègrent davantage de points de vue différents et de réflexions.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

Constance Laroche : N’attendez pas et agissez pour être acteur du changement que vous souhaitez obtenir. Le changement est en chacun de nous et le monde appartient à tous. Il en va de notre responsabilité individuelle de le rendre plus beau, plus riche pour les générations futures. Nous avons tous un rôle à jouer pour participer à la construction d’une nouvelle histoire collective. Nous avons la liberté d’agir, même dans le monde professionnel, chacun à notre niveau, que l’on soit chef d’entreprise, cadre dirigeant, manager d’équipe ou collaborateur. Nous pouvons agir sur ce qui est à notre portée : le temps et l’énergie déployés, les relations que l’on décide d’avoir avec les autres, notre propre comportement, l’ordre de nos priorités….  Reste le soin à chacun d’impulser ce changement.

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Constance Laroche : Continuer d’intégrer plus et mieux la pensée permaculturelle dans tous les aspects de ma vie : au jardin, avec ma famille et amis, dans les décisions que je prends au quotidien, dans mes choix de consommation, dans la qualité des relations avec les autres….

Il y a aussi le réchauffement climatique et du rôle que chacun peut jouer à son niveau dans cette lutte. Ou pour le tourner de manière plus positive, la protection des forêts et des espèces.

 

 

Merci Constance

 

 

Merci Bertrand

 

 


Le livre : L’Entreprise Fertile : Comment s’épanouir et mieux travailler ensemble grâce à la permaculture, Constance Laroche, Reverse, 2020