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Jean-Louis Dumas était doté du sens des affaires et du talent d’un poète

Initiateur du premier site Internet d’Hermès, Michel Campan conserve en mémoire la manière de voir de Jean-Louis Dumas, mais aussi sa manière de partager et mettre en musique sa vision unique. L’auteur de Jean-Louis Dumas & Hermes.com – Témoignage d’un internaute  a bien voulu nous parler de cette collaboration, annonciatrice des mutations à l’œuvre dans l’industrie du luxe.

 

 

Bonjour Michel Campan, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Michel Campan : Ce livre est d’abord un hommage à M. Jean-Louis Dumas qui fut l’un des plus grands patrons de l’industrie du luxe français au 20e Siècle. J’ai eu l’honneur de travailler pour lui au sein de la Maison Hermès et d’y lancer le premier site e-commerce d’une Maison de luxe, il y a plus de 20 ans ! Ce fut une aventure professionnelle et personnelle. D’une certaine façon, nous étions des pionniers qui suivions un capitaine génial !

 

M. Jean-Louis Dumas, CEO d’Hermès de 1978 à 2006 a contribué à faire d’Hermès l’une des entreprises les plus recherchées au monde. De 1978 à 2006, il a fait d’Hermès la griffe emblématique du savoir-faire français. Doté du sens des affaires et du talent d’un poète, M. Dumas a propulsé cette entreprise familiale au rang de multinationale. Il y a 20 ans, j’ai eu l’honneur de l’accompagner dans ce chemin de transformation. Ce fut la naissance d’Hermes.com. Internet représentait pour lui des emplois pour les artisans de la soie, de nouveaux services pour ses clients, une ouverture sur le monde et la transformation lente, la maturation du patrimoine créatif et humain de sa Maison. Sa manière de voir, mais aussi sa manière de partager et mettre en musique sa vision était unique. Au lieu d’avoir peur, il a embrassé les changements de notre époque. C’est un témoignage pour les dirigeants, entrepreneurs, passionnés qui vont travailler ou travaillent dans le secteur du luxe. Quelle est la recette de cette réussite et quels enseignements pouvons-nous tirer du « chef de clan » qui a propulsé Hermès vers les étoiles ?

 

Jean-Louis Dumas et Hermes.com — Témoignage d’un internaute

 

C’est aussi une manière de témoigner sur la révolution technologique des 20 dernières années. C’est un bouleversement complet de nos sociétés et de nos économies.

 

Contrairement à beaucoup d’idées reçues l’industrie du Luxe français, a embrassé cette révolution pour continuer à rayonner à travers le monde. Après les Faubourgs de Paris, les magazines, les grandes capitales du monde, les aéroports, l’Internet est devenu une nouvelle manière de séduire le cœur des clientèles à travers le monde depuis plus de 20 ans…

 

Il y a deux ans, j’échangeais avec des professionnels du secteur de la mode et une jeune étudiante m’a demandé qui était Monsieur Dumas que j’avais évoqué lors de mon interview… Quelques années à peine après sa mort sa mémoire disparaissait, sur Google, il ne restait que des articles de presse de ses funérailles et le magnifique livre de ses photographies publiées par sa fille Sandrine.

 

Tous ceux qui l’ont croisé ou qui l’ont connu ont le souvenir de cet incroyable artisan-poète qui a contribué à faire d’Hermès l’une des entreprises les plus recherchées au monde. De 1978 à 2006, Hermès est devenu la griffe emblématique du savoir-faire français. Doté du sens des affaires et du talent du poète, M. Dumas a propulsé cette entreprise familiale au rang de multinationale.

 

J’ai donc choisi de parler de ce que j’avais partagé avec lui et surtout d’expliquer à quel point il avait intégré l’innovation digitale dans sa stratégie il y a plus de 20 ans.

 

Je m’appelle Michel Campan, je suis un passionné de digital, spécialiste de la clientèle asiatique. J’ai participé au lancement du 1er e-commerce d’une Maison de luxe, Hermes.com, sous l’impulsion créative et visionnaire d’un des plus grands visionnaires du secteur du luxe, M. Jean-Louis Dumas. J’ai découvert l’Asie, le Japon il y a 15 ans et la Chine surtout cet immense territoire de « digital native » qui allait transformer notre industrie du luxe français. Passionné par l’Asie, j’ai as créé en 2010 ma propre agence, SAME SAME but différent (aujourd’hui Dentsu) qui a notamment construit des ponts entre les stratégies digitales des marques et leur application sur le marché chinois.

 

Aujourd’hui, je suis à la fois conseil stratégique de grandes Maisons de luxe et consultant au sein d’H2O à Hong Kong.  J’ai la conviction que l’industrie du luxe français doit profondément accélérer sa digitalisation. La croissance du moteur de clients chinois oblige l’industrie haut de gamme française à se transformer vers plus d’authenticité, de respects des attentes environnementales et de vision des métiers — complexes — de l’e-commerce, de la distribution et du digital en général.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

M.C. : J’aime beaucoup ce petit poème de M. Jean-Jacques Ably. C’est un Haïku qui ornait un catalogue des cravates Hermès. Un petit cadeau de finesse et de poésie offert aux futurs clients de la Maison.

 

En France on connaît le Jonchet,

Qui consiste à retirer un à un,

sans faire bouger les autres,

tous les petits bâtonnets d’un tas.

Une seconde version du jeu s’appelle

Le Mikado, en l’honneur de l’empereur

du Japon. Car c’est l’art de gouverner :

veiller au détail, déplacer toujours

de petites choses en préservant.

Les équilibres d’ensemble.

Agir avec doigté, réformer en douceur,

Pour éviter la secousse d’une révolution.

Jean-Jacques Ably

 

Il nous le lut à voix haute et le commenta. C’était dit. Ce n’était pas l’objectif qui comptait, mais la manière d’y arriver. Il faut savoir déplacer chaque élément sans faire tomber l’ensemble. M. Dumas aimait à dire qu’il fallait émailler la communication avec le client de ces petites finesses, ces détails, ces mots ciselés. Il disait que si un seul client sur100 l’avait compris c’était gagné.

 

C’est difficile de raconter une histoire faite de milliers de moments et de protagonistes, mais rien ne devrait se vivre sans complicités créatives, c’est le sel de la vie ! Ce sont des rencontres passionnantes : Pierre Alexis Dumas directeur artistique d’Hermès, Christian Blanckaert, Corinna Berthold, Leyla Menchari, et Stéphane Wargnier qui m’a fait l’amitié d’écrire la préface.

 

Le dessin a évidemment beaucoup compté dans cette aventure créative ! Jean Louis Dumas également était connu pour croquer et dessiner pour expliquer — comme cette illustration d’Alice Charbin qui représente un homme en chemise qui admire sa cravate orange juché comme un enfant sur une pile à l’équilibre incertain de fines boîtes orange. À ses pieds une boîte ouverte semble proposer une alternative de cravate bleue…

 

Ce qui était fascinant, c’était sa capacité à regarder plus vaste ; il associait toujours le beau, l’utile et le commerce. Sans commerce, tout cela n’avait pas d’intérêt. Le commerce au sens noble du terme, au sens de la découverte d’une œuvre d’art. Un échange courtois ? Un principe d’élévation de l’âme ; le beau et l’utile devaient s’unir pour apporter quelque chose dans la vie des clients.

 

Entrer en négoce, commercer, converser. S’assurer que l’utile et le beau restent liés, que l’objet soit le prétexte à de nombreuses rencontres entre l’utile et le beau, entre des émotions et une ouverture culturelle, artistique plus ample, qu’il soit un cadeau autant qu’un point de contact avec la vie économique du monde. Est-ce que c’est cela ? Est-ce que ce ne serait pas cet « entre les lignes » qui nous attache à Hermès comme la délicatesse d’un ruban noué d’un geste vif attentionné, mais sans que l’esprit n’ait à se détourner de la conversation ?

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

M.C. : Je crois plus aux mécaniques économiques et sociales de fond normalement, mais depuis quelques jours, je suis, comme beaucoup, très intéressé par ClubHouse, c’est une expérience très intéressante, humaine et humble, un vrai lieu d’échange. Notre humanité a une capacité incroyable à inventer son futur. Au cœur d’une pandémie mondiale, notre nécessité d’être ensemble, de partager est plus fort que tout.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

M.C. : Disons que c’est plus le fruit de l’expérience qu’un conseil… Jean-Louis Dumas m’invitait souvent à regarder la beauté du ciel le matin. Nous sommes souvent emportés dans nos pensées et nos soucis alors qu’il nous suffit de regarder le ciel pour voir la beauté du monde.

 

Combien de fois ai-je regardé le ciel, entre deux gratte-ciel à Hong Kong ou à Shanghai en pensant à cette phrase « chercher la beauté du monde » ? J’ai relayé cela plus tard à la méditation. Savoir profiter de la beauté du monde. Le respecter et respecter les autres.

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

M.C. : J’ai la chance de travailler et de vivre des projets, des sujets qui me passionnent tous les jours. Depuis des années, les organisations traditionnelles en silos, organisations héritées du 20e siècle perdurent et la digitalisation des marques. La compréhension profonde des enjeux de distribution que représente la désintermédiation est fondamentale.

 

Trop souvent les responsables des entreprises ont manqué de convictions personnelles pour s’emparer de la question. Je ne parle pas de provoquer la Xe réunion sur la Transformation digitale… mais de la faire ! D’investir en e-commerce, d’investir dans les outils pour leurs forces de vente, d’investir dans l’intelligence et la data, d’aller conquérir les nouveaux espaces de clientèles à travers le monde.

 

Bref de retrouver cet esprit de conquête qui a toujours fait briller notre pays à travers le monde. C’est l’essence même des industries de la Mode et du Luxe. Le digital est un formidable atout.

 

Merci Michel

 

Merci Bertrand


Le livre : Jean-Louis Dumas & Hermes.com – Témoignage d’un internaute, Michel Campan, 2021.