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Ne citez pas, devenez citables

Les gourous prolifèrent dans un monde numérisé leur donnant un haut-parleur inespéré. Mais pour faire entendre sa voix, il convient d’exceller dans le troisième des sept arts libéraux : la rhétorique. Un art auquel Victor Ferry, l’auteur de 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir, propose de nous initier. Pour profiter de ses lumières nous l’avons interviewé.

Bonjour Victor Ferry, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Victor Ferry : Parce que j’aime mon pays, la France.
Je ne peux pas me résigner à voir un pays qui a produit tant de grands scientifiques, tant de grands philosophes, tant de grands entrepreneurs, tant de grands romanciers, tant de grands poètes, tant de grands stratèges sombrer dans le marécage de la médiocrité. Il semble, aujourd’hui, que seules les paroles de complainte, la rhétorique victimaire, le cynisme ou l’ironie aient le droit de citer. C’est insupportable.
J’ai donc choisi d’écrire ce livre pour faire émerger de nouveaux cadres. Je souhaite que mes contemporains qui ont le souci de la grandeur, de l’intelligence et de la beauté puissent s’emparer d’outils pour faire des discours efficaces, amorcer des mouvements qui contribuent à mettre la barre plus haut.

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

V.F. : L’objectif est que mon lecteur ne devienne pas seulement un bon orateur. Je veux en faire un grand orateur. Le bon orateur maîtrise toutes les techniques pour bien parler. Le grand orateur également mais, de plus, il a fait le travail nécessaire à développer une pensée originale, une vision et un caractère qui lui permettent de marquer l’histoire. Ainsi, après avoir équipé mon lecteur avec tous les outils dont il a besoin pour augmenter son pouvoir à la force de ses discours, je le laisse avec 10 commandements pour qu’il garde le cap. Voici celui que je juge le plus important:
Emmenez-les de l’ombre à la lumière
V.F.: C’est la différence entre le grand orateur et le gourou. Le gourou accable ses fidèles, leur dépeint le monde comme un enfer sans issue, les convaincs de leur impuissance et se présente comme leur seul espoir. Ce n’est pas votre cas. Vous ne souhaitez pas être entouré d’un troupeau apeuré. Vous êtes lucide. Les problèmes étant ce qu’ils sont, vous savez que vous aurez besoin d’une communauté au meilleur de sa forme. Si vous commencez vos discours par les passions tristes, c’est pour mieux aider votre public à les surmonter. Vous avez toutes les cartes pour le faire. Vous allez le faire bien. Là est la force, là est le pouvoir. Emmenez-les de l’ombre à la lumière.

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

V.F. : Je crois au retour de l’intelligence. L’ère de la télévision, avec son acharnement à promouvoir la vulgarité, touche à sa fin. Je perçois une soif grandissante de contenus longs, fouillés et exigeants intellectuellement.
Je crois au retour de la beauté. L’ère de l’intellectualisme, qui a voulu nous faire croire qu’il suffisait de coller des morceaux de carton sur une toile ou de détourner des objets de leur fonction initiale pour prétendre au nom d’artiste touche à sa fin. Je vois émerger une nouvelle génération de créateurs qui osent redonner à l’art sa fonction sociale: élever les hommes en offrant à leurs sens une beauté trop souvent absente de leur quotidien.
Je crois, enfin, au passage de l’humanité à l’âge de raison. La technologie nous a donné un pouvoir démesuré, nous n’aurons bientôt d’autre choix que d’en assumer toute la responsabilité. Dans chacun de nos choix de vie, nous devrons nous comporter en adultes: Quel impact suis-je en train d’avoir sur mes semblables, sur la nature, sur les animaux? Quel environnement vais-je laisser à mes enfants ? Ainsi, la catastrophe climatique en cours peut faire de nous des hommes meilleurs.

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

V.F. : Ne citez pas, devenez citables.
Bien sûr, pour développer un style et une pensée originale, vous devez vous nourrir de grands auteurs. Mais vous ne devez pas entretenir un rapport servile avec eux, vous devez avoir pour objectif de vous asseoir à leur table, devenir, pour votre public non pas un compilateur mais une source de pensée. La première étape consiste à vous retenir de citer. Demandez-vous, à la place: puis-je dire, dans mes propres mots, quelque chose de tout aussi mémorable que le propos de l’auteur qui m’a tant inspiré? Et c’est pour vous aider à rendre vos idées mémorables que je vous invite à travailler votre style tout au long de mon ouvrage.

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

V.F. : Après ce livre consacré à la rhétorique (l’art du discours), je commence l’écriture d’un livre sur la dialectique (l’art de gagner un débat).
Merci Victor Ferry
Merci Bertrand

Le livre: 12 leçons de rhétorique pour prendre le pouvoir, Victor Ferry, Eyrolles, 2020.